Anéantissez donc à jamais tout ce qui peut détruire un jour votre ouvrage. Songez que, le fruit de vos travaux n’étant réservés qu’à vos neveux, il est de votre devoir, de votre probité, de ne leur laisser aucun de ces germes dangereux qui pourraient les replonger dans le chaos dont nous avons tant de peine à sortir. Déjà nos préjugés se dissipent, déjà le peuple abjure les absurdités catholiques ; il a déjà supprimé les temples, il a culbuté les idoles, il est convenu que le mariage n’est plus qu’un acte civil ; les confessionnaux brisés servent aux foyers publics ; les prétendus fidèles, désertant le banquet apostolique, laissent les dieux de farine aux souris. Français, ne vous arrêtez point : l’Europe entière, une main déjà sur le bandeau qui fascine ses yeux, attend de vous l’effort qui doit l’arracher de son front. Hâtez-vous : ne laissez pas à Rome la sainte, s’agitant en tous sens pour réprimer votre énergie, le temps de se conserver peut-être encore quelques prosélytes. Frappez sans ménagement sa tête altière et frémissante, et qu’avant deux mois l’arbre de la liberté, ombrageant les débris de la chaire de Saint Pierre, couvre du poids de ses rameaux victorieux toutes ces méprisables idoles du christianisme effrontément élevées sur les cendres des Catons et des Brutus. Français, je vous le répète, l’Europe attend de vous d’être à la fois délivrée du sceptre et de l’encensoir. Songez qu’il vous est impossible de l’affranchir de la tyrannie royale sans lui faire briser en même temps les freins de la superstition religieuse : les liens de l’une sont trop intimement unis à l’autre pour qu’en laissant subsister un des deux vous ne retombiez pas bientôt sous l’empire de celui que vous aurez négligé de dissoudre
La philosophie dans le boudoir
DAF DE SADE